LA COMMUNAUTE ALGERIENNE EN FRANCE:
L'URGENCE D'UNE ORGANISATION CITOYENNE
Kaci REDJDAL
Député de la communauté algérienne du Sud de la France
Le 17 octobre constitue une des rares dates où l'on évoque la communauté algérienne installée en France. Une fois dans l'année, tous les journaux saisissent cette occasion, pour rappeler cette triste date du 17 octobre 1961 où des algériens, enfants, femmes, vieillards ont été réprimés par la violence alors qu'ils manifestaient pacifiquement contre un couvre-feu qui leur a été imposé et pour l'indépendance de l'Algérie.
Il est en effet nécessaire de rappeler à l'opinion ces dramatiques événements et il est de notre responsabilité à tous, de lutter contre l'oubli. Cependant, l'hommage et l'attention que mérite cette importante frange du peuple algérien qui a donné le meilleur d'elle-même pour faire triompher le combat de la liberté et de la dignité et qui n'a jamais cessé d'apporter son concours et de manifester sa solidarité à l'égard de son pays, ne doit pas se résumer à quelques paragraphes dans les journaux une fois dans l'année.
Doit-on être amnésique 365 jours sur 366 ? Doit-on se rappeler de cette communauté de façon conjoncturelle, notamment en période électorale ? Pourquoi cette marginalisation pour ne pas dire le mépris à l'égard de cette frange patriotique qui a tant donné et qui continue à défendre ardemment les intérêts supérieurs de l'Algérie ?
La communauté algérienne ne doit-elle pas être considérée comme partie intégrante de la communauté nationale ?
La responsabilité de l'Etat algérien est entière vis à vis de ses enfants à l'étranger. Il doit avoir le courage d'assumer pleinement cette communauté avec ses potentialités et ses problèmes. Les manipulations et les discours démagogiques ont trop duré et la communauté en a assez de l'instrumentalisation dont elle fait l'objet que ce soit de la part des pouvoirs publics ou des partis politiques.
La communauté veut des actions concrètes qui tiennent compte de ses évolutions, mutations et aspirations. C'est une communauté qui a en effet subi d'importantes mutations. Son évolution tant au niveau de sa structure démographique que de son statut social imposent une autre vision et d'autres stratégies. Le simple appel au nationalisme de la première génération, qui permettaient l'union de la communauté, a moins d'échos chez les nouvelles générations qui certes, restent sensibles mais autrement, car leurs préoccupations et leurs aspirations sont différentes.
Cette évolution a mis en relief de nouveaux problèmes complexes mais aussi des facultés d'adaptation, un formidable potentiel professionnel, technique , culturel et scientifique dont l'Algérie doit se réjouir et œuvrer à le mettre en concordance avec ses propres objectifs de redressement économique et social.
La seule question qui mérite d'être posée aujourd'hui est la suivante : Quelle politique et quelle stratégie doit-on mettre en œuvre pour permettre à cette communauté de jouer pleinement son rôle dans les pays d'accueil et en même temps, de contribuer activement et efficacement au redressement et développement de l'Algérie dans toutes ses dimensions, économiques, scientifiques et culturelles ?
La communauté algérienne est la plus importante des communautés d'origine étrangère en France voire en Europe mais paradoxalement, la moins organisée. Mise à part, la période durant laquelle le parti unique s'est prolongé à l'étranger à travers l'Amicale des Algériens en France et en Europe, la communauté n'a plus fait l'objet d'une quelconque stratégie d'organisation ou de représentation.
Certes, quelques initiatives ont été prises ces dernières années ( représentation au CNES , au parlement , création d'une structure gouvernementale chargée de la communauté ) mais comme elles n'ont jamais été inscrites dans une politique globale avec une réelle stratégie, leurs effets ont été amoindris, altérés, parfois même dénaturés, malgré les efforts considérables déployés par ces représentants.
Les pouvoirs publics algériens, sans vouloir la manipuler, doivent offrir à cette communauté les moyens nécessaires afin qu'elle puisse s'organiser et constituer cette force capable de défendre ses propres intérêts dans les pays d'accueil mais aussi les intérêts supérieurs de l'Algérie. La communauté doit être cette belle vitrine de l'Algérie à l'étranger.
Notre communauté a toujours manifesté son attachement fécond au pays comme elle s'est toujours mobilisé avec maturité et responsabilité à chaque fois que les situations l'exigeaient.
A cette maturité avérée de cette importante frange du peuple, doit correspondre une
politique élaborée , active et entreprenante des pouvoirs publics. La vitalité de notre communauté ne doit pas s'apprécier uniquement sous le prisme de ses éventuels apports économiques ou à l'occasion d'échéances électorales.
Aujourd'hui, l'inexistence d'un cadre organisé pour cette communauté a pour conséquences immédiates :
1- un émiettement des forces de cette communauté
2- des visées manipulatrices de toute part.
Le désarroi de certains membres de la communauté en situation d'échec ou en quête identitaire est instrumentalisé par une multitude d'associations. La prolifération des associations spécifiques ou de quartiers , répondant à des intérêts particuliers ou conjoncturels restreints, a engendré des compétitions antagonistes et non constructives. De même, le prolongement des partis politiques algériens à l'étranger est exploité pour entamer, au nom de la démocratie et du droit à la différence, l'unité et la solidarité des algériens entre eux d'une part, et vis à vis du pays d'autre part.
L'urgence est de mettre en place une organisation citoyenne dont le socle est l'unité de ses membres. Cette organisation doit dégager dans sa définition et dans son action le dénominateur commun qui permette aux uns et aux autres d'œuvrer ensemble dans le respect des diversités d'opinions et d'appartenance et de conjuguer tous les efforts pour l'intérêt commun.
Cette organisation doit constituer ce cadre favorisant la libération des énergies et d'actions positives autour d'objectifs communs visant la recherche des solutions pertinentes aux problèmes rencontrés par la communauté dans un esprit d'entraide, de solidarité et de soutien aux initiatives des uns et des autres.
Cela suppose évidemment une organisation au dessus des querelles partisanes et des débats idéologiques qui affaiblissent l'efficacité de l'action et la cohésion de la communauté.
C'est à la communauté d'initier elle même cette forme d'organisation en fonction de ses besoins et des réalités de son vécu en y associant tous les acteurs. Les pouvoirs publics doivent encourager et soutenir l'organisation citoyenne de la communauté en mettant en place les meilleures conditions possibles, sans toute fois refaire les erreurs du passé en retombant dans la tentation de créer artificiellement des structures imposées par le haut sans réel ancrage et sans les véritables acteurs de cette communauté.
Une maison de l'Algérie au niveau de chaque consulat général , dans un premier temps, devient indispensable. L'Algérie dispose de plusieurs biens à l'étranger. Elle doit œuvrer à leur assainissement et les mettre à la disposition de la communauté algérienne. Ces biens doivent être la propriété de tous les algériens et constituer des lieux d'expression citoyenne.
La maison de l'Algérie doit être ce centre de rayonnement culturel, économique, scientifique, ce centre d'intérêts pour tous les algériens et amis de l'Algérie. Une communauté bien organisée et efficacement structurée, dans un lieu de convivialité et de solidarité, est amenée à mettre en place un ensemble de services et prestations pouvant répondre aux besoins et aux aspirations de nos compatriotes et de nos amis.
Les nombreuses et légitimes préoccupations de notre communauté demeurent en souffrance faute d'inexistence de cadre qui puisse les prendre en charge de façon pertinente. Les compétences locales existent. Il suffit de leur donner un cadre et les moyens de s'exprimer. Des solutions concertées peuvent être alors envisagées à de nombreux dossiers dans les différents volets : éducatif, culturel, cultuel, social, économique, communication , échanges…..
1- Volet culturel :
La culture constitue cette substance de la mémoire, de l'histoire et de l'identité. Un projet culturel bien réfléchi, extirpé des tabous, devrait permettre une affirmation de la personnalité algérienne ouverte sur l'universalité et fière de ses référents identitaires.
Les jeunes algériens ou d'origine algérienne, dans la presque totalité, revendiquent l'identité d'origine tant sur la plan de la nationalité que sur certains particularismes culturels. Seule une politique culturelle ouverte peut permettre à chacun de ces jeunes d'assumer pleinement sa citoyenneté, en évitant de la subir comme une déchirure identitaire ou en la vivant comme une dépersonnalisation.
La culture algérienne est aujourd'hui réduite à sa plus simple expression, la chanson. Même si cet aspect de la culture est nécessaire et qu'il faut l'encourager, l'action culturelle devrait s'élargir au recouvrement de la totalité du patrimoine culturel algérien afin d'en constituer un socle identitaire, un repère historique et un motif de fierté.
Les actions qui viseraient à sauvegarder , à valoriser et à promouvoir ce riche et diversifié patrimoine , peuvent se traduire par des animations culturelles, des conférences, des expositions, des films, des festivals, des échanges …
Le développement, l'ouverture d'esprit, l'esprit critique, la fierté pour ses origines et pour son histoire, sont les meilleurs antidotes contre l'endoctrinement ou l'embrigadement.
2- Volet Enseignement
Toutes ces questions doivent nous mener à une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour permettre d'accompagner les enfants diminués, sans évidemment se substituer au système éducatif du pays.
Il est urgent de mettre fin à une vision politicienne de l'enseignement des langues arabe et Tamazight. Le seul vecteur directeur qui doit prévaloir dans cet enseignement est celui de l'intérêt de nos enfants. Cet enseignement doit donc être repensé, clarifié dans ses objectifs. Il doit être assuré par de véritables enseignants, recrutés dans la mesure du possible localement et dont le statut devrait être clairement défini. La compétence et la pédagogie sont alors indispensables.
3- Volet Cultuel
- L'Islam a toujours été présent au sein de la communauté algérienne en France, que ce soit sous forme de pratiques religieuses, de pratiques culturelles ou de références symboliques. L'instrumentalisation de la religion à des fins politiques et la prolifération des mouvements intégristes à travers le monde, ont terni l'image de l'Islam, dévoyé son message et ont engendré des jugements hâtifs et erronés.
- Toute expression religieuse au sein de notre communauté devient suspecte et prend une coloration politique.
- Les animateurs de certains courants intégristes tentent de manipuler certains éléments de notre communauté en désarroi social ou en quête identitaire.
Le danger de la manipulation qui guette la communauté mérite une attention particulière des pouvoirs publics algériens et français. Ni l'Algérie, ni la France n'ont intérêt à ce que des pratiques déviantes et minoritaires, qui n'ont aucun rapport avec la spiritualité profonde d'une religion millénaire, ne soient présentées à l'opinion comme le reflet de l'essence même de l'islam.
Toute action dans ce domaine doit s'inscrire dans le respect et la tolérance et doit avoir pour seul objectif la connaissance et la mise en valeur de la civilisation musulmane. Il est nécessaire aujourd'hui d'œuvrer tous ensemble à ne pas cultiver la confusion entre l'islam et l'islamisme politique et à lever tous les malentendus qui entourent la perception l'Islam dans la société française. L'attribution systématique d'objectifs politiques à la pratique de l'Islam relève d'une démarche dangereuse.
La religion musulmane doit avoir, en France, le statut qui lui revient dans le respect de la République. Les musulmans doivent pouvoir observer leur foi et pratiquer leur religion dans le respect et la dignité. Les mosquées doivent représenter ces lieux de ressourcement spirituel, de tolérance, de fraternité et de solidarité.
Les imams en charge de propager le message de l'Islam doivent être excellemment formés pour éviter le charlatanisme. Des historiens, des conférenciers peuvent participer à l'éducation de la communauté en l'éclairant sur la dimension humaniste et universaliste de cette grande religion, celle de l'action, en insistant sur l'orientation rationnelle et la résurgence spirituelle.
4- Volet social
5- Volet information et communication
Tous les moyens modernes d'information et de communication doivent être mis en place. Un fond documentaire et une banque de données sont nécessaires. La maison de l'Algérie doit être ce centre de ressources où l'Algérien et l'ami de l'Algérie trouveront les informations nécessaires et utiles sur l'Algérie et sur la communauté.
Une revue et un site Internet qui synthétiseront les actions phares organisées par la communauté peuvent être envisagés.
6- Volet échanges économiques
- Des efforts considérables sont à déployer pour favoriser les échanges entre les jeunes. Outre les échanges éducatifs ou scolaires qui s'inscrivent dans un cadre organisé d'échanges de structures, l'organisation de circuits touristiques pour les enfants de la communauté doit être envisagée. Ces actions permettront à ces enfants de mieux connaître leur pays d'origine et de garder un lien fort avec celui-ci.
- Au niveau économique, les algériens installés en France ont toujours manifesté leur souhait de contribuer du mieux qu'il peuvent au redressement et au développement de l'Algérie. Le devoir de l'Etat est de faciliter leur action en encourageant les échanges entre la communauté et l'Algérie notamment par le biais des investissements et du transfert de technologie.
L'Etat a pour responsabilité d'offrir les conditions susceptibles de drainer l'épargne de la communauté et de l'orienter vers des formes de placement et d'investissement réellement attractives. Des mesures fiscales incitatives ainsi qu'une amélioration sensible dans procédures administratives attireront sans aucun doute de nombreux investisseurs algériens.
7- Volet échanges scientifiques et technologiques
Sur le plan universitaire et de recherche, outre le soutien documentaire que nous pouvons apporter à nos universités, différentes formes d'intervention et d'encadrement peuvent être envisagées pour peu que les pouvoirs publics favorisent ces interventions et accordent à nos universitaires et chercheurs une certaine considération. Par le développement des moyens modernes de communication notamment par le biais d'Internet, plusieurs actions peuvent être menées à distance.
Par ailleurs, la présence de nombreux enseignants et chercheurs algériens ou d'origine algérienne dans les universités européennes peut constituer ce vecteur d'ouverture sur le monde de l'université algérienne.
L'université algérienne est totalement absente dans les manifestations scientifiques internationales et dans les programmes d'échanges .
Un relais est donc nécessaire notamment en France pour l'acheminement de l'information mais également pour la mise en place de projets.
8- Volet : L'Algérie et le monde
Cet aspect peut relever d'une organisation efficace de la communauté par la mise en place d'une cellule qui se chargera du suivi des processus d'échanges et de partenariat entre l'Europe et l'Algérie afin d'assurer une meilleure information et une présence constante de l'Algérie. A titre d'exemple, Le processus de Barcelone lancé par l'union européenne en 1995, instaure un partenariat envisageant tous les aspects de la société euro - méditerranéenne. L'Algérie est l'un des pays partenaires de Méditerranée qui a le moins bénéficié des fonds bilatéraux de MEDA de 1995 à fin 1999. Notre pays représente en effet moins de 6% du total des fonds engagés. Il faudra donc veiller à assurer une présence par la mise en place d'actions pour la ligne de programmation 2000-2006.
Ces quelques volets cités ci-dessus ne présentent que des réflexions qui peuvent guider les actions de cette organisation. De nombreuses autres idées peuvent être développées notamment sur le plan des préoccupations relevant directement des conventions entre l'Algérie et la France. La communauté peut apporter sa contribution grâce à son vécu et à son expérience, dans la matérialisation des cadres juridiques bilatéraux.
Certaines conventions doivent faire l'objet de réactualisation. De nouveaux accords dictés par les mutations de la communauté doivent être négociés. La communauté peut faire des propositions en travaillant évidemment dans un parfait parallélisme avec les structures diplomatiques et consulaires.
Conclusion
La communauté algérienne recèle des potentialités énormes et constitue une formidable richesse. Une organisation citoyenne basée sur des valeurs fédératrices, au dessus des querelles partisanes, conduira sans aucun doute à créer cette force d'idées et de propositions. En favorisant le débat, les échanges et en développant l'écoute, la tolérance et l'expression constructive, cette organisation constituera ce cadre où l'on s'efforcera de dépasser les susceptibilités, enrayer les divisons pour engager, dans la cohésion des ses membres, des actions essentielles visant à la défense des intérêts de tous les membres de la communauté ( résidents et binationaux) et au renforcement des liens entre la communauté et l'Algérie.
Il ne s'agit évidemment pas là d'une vision "communautariste" dans sa définition négative mais d'une organisation associative citoyenne se voulant participative et actrice.