Programme du gouvernement - 16 Janvier 2000 -

Intervention de Monsieur Kaci REDJDAL,

Député de la communauté algérienne du sud de la France

 

Monsieur Le Président , Mesdames et Messieurs ,

Avant d’intervenir sur un certain nombre de secteurs, je souhaiterais faire 3 observations :

  1. Comme d’habitude, tout nouveau gouvernement met les compteurs de l’Algérie à zéro et repart comme si aucune gestion précédente n’a été faite. Aucune référence n’est faite aux actions du gouvernement précédent.
  2. La gestion des affaires de l’Etat nécessite une continuité et il est nécessaire de mettre fin à cette opacité qui entoure les mécanismes d’évaluation des gestions précédentes.

  3. Le projet qui nous est soumis est loin de constituer un projet de gouvernement. Il s’agit d’un ensemble d’intentions. Un programme de gouvernement doit définir :

L’absence de ces éléments ne permettent pas au parlement d’analyser la faisabilité de ce que vous annoncez et encore moins le suivi ou le contrôle.

Le gouvernement précédent n’a pas fait de bilan de son action. Votre gouvernement annonce des généralités sans aucun chiffre et évite ainsi de s’exposer à un contrôle des réalisations éventuelles. N’est ce pas une manière d ‘enlever ses prérogatives au parlement ?

  1. Cet ensemble d’intentions techniques louables ne nous renseigne pas sur les possibilités de sortie de crise. La dimension politique de la crise que vit notre pays est totalement occultée dans votre projet..

Tout le monde s’accorde à dire que la crise qui sévit dans notre pays est certes multisectorielle mais avant tout politique. C’est l’absence d’un projet de société clair qui a engendré cette crise et c’est cette confusion politique qui consiste à faire cohabiter deux projets de société antagonistes qui aggrave la crise. Ce gouvernement accentue cette confusion en associant des tendances politiques qui ne peuvent en aucun cohabiter sauf reniement de son combat par l’une ou l’autre des tendances .

On ne peut pas être à la fois laic et islamiste – progressiste et conservateur – de gauche et de droite ……

Monsieur Le Président ,

L’éducation et la culture , les problèmes identitaires , la place de la femme dans la société, sont des sujets qui ne peuvent plus s’accommoder d’un double langage et de la confusion . Ils relèvent d’une véritable vision de la société.

Il est donc indispensable de clarifier les orientations que l’on veut donner à cette société. L’orientation démocratique et républicaine proclamée dans les discours se voit contredire par certains faits pratiques et même par certaines intentions énoncées dans ce projet du gouvernement.

Ces trois observations générales faites, je vais me prononcer sur quelques secteurs.

A- Communauté algérienne résidant à l’étranger

En tant qu’élu de la communauté nationale à l’étranger, je commencerais par la partie ou plutôt les quelques lignes réservées dans ce programme à nos concitoyens résidant à l’étranger.

En lisant des programmes de Mrs Ouyahia , Hamdani et Benbitour ,on retrouve exactement les mêmes phrases présentées sous différentes formes. Le texte apparaissant dans le projet de ce gouvernement à l’avantage d’être court (6 lignes).

Je cite :

"  Le gouvernement accordera un intérêt particulier à la communauté nationale résidant à l’étranger. Cet intérêt visera à garantir à notre communauté le respect de sa dignité et de ses droits. Cet intérêt et cet effort s’étendra à mobiliser la contribution financière, scientifique , culturelle de nos compatriotes à l’œuvre du redressement national ".

La référence aux 2èmes assises, évoquée dans les programmes de Mrs Ouyahia et Hamdani a disparu dans ce projet. Evidemment, comme il n’y a pas d’échéances électorales , la ligne concernant la mobilisation de notre communauté pour la participation aux élections du programme de Mr Hamdani a disparu également.

Monsieur Le Président,

La situation que vit notre émigration est dramatique . C’est louable de la part d’un gouvernement d’énoncer de bonnes intentions et de vouloir défendre la dignité et les droits de nos concitoyens mais le discours dure depuis très longtemps mais à ce jour, aucune mesure effective n’est prise ( en dehors du service national) pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens et ce malgré nos différentes et nombreuses interpellations .

Le seul et unique regard que l’on porte sur cette communauté se fait lors des échéances électorales. Les rares visites faites par les responsables chargés de cette communauté se font dans le cadre de ces échéances électorales pour l’appeler à voter en masse.

En dehors de ces échéances, C’est le mutisme. La communauté est marginalisée pour ne pas dire méprisée.

- La communauté algérienne installée à l’étranger est la moins organisée pour ne pas dire pas organisée du tout. Aucune condition ni cadre ni moyen ne lui sont offerts.

- La dignité de nos concitoyens est constamment bafouée :

L’Algérien résidant à l’étranger est le premier à subir de plein fouet la mauvaise image de l’Algérie notamment pendant ces dernières années.

Quant au traitement de nos concitoyens lors des vacances, il suffit de se rendre dans les aéorodromes ou ports français et algériens pour se rendre compte du traitement humiliant que subissent nos concitoyens chaque année.

Un geste politique a été fait en 1997 en permettant à la communauté d’être représentée au parlement mais sans pour cela donner les moyens nécessaires pour que ces parlementaires puissent faire leur travail correctement, des parlementaires qui, à ce jour, n’ont pas de statut.

Malgré ces difficultés , les députés sont à l’écoute de la communauté et sont intervenus ici au parlement à plusieurs reprises pour interpeller les ministres concernés sur les préoccupations de la communauté.

Monsieur Le Président,

Si j’ai tenu à rappeler un certain nombre de faits , c’est pour dire, une fois de plus, de cette tribune, à Monsieur Le Chef du gouvernement , aux partis politiques et à la société, qu’il faut arrêter d’avoir un regard méprisant sur cette communauté.

La communauté algérienne à l’étranger ne doit pas être perçue comme un problème mais comme une richesse.

N’oublions jamais le rôle qu’a joué cette communauté lors de la guerre de libération, et plus récemment, dans toutes ces périodes tragiques qu’a vécues notre pays.

Une communauté bien organisée est efficace et constitue alors une force qui permet de peser et rehausser l’image de l’Algérie dans les pays d’accueil .

Par ailleurs, les potentialités de notre communauté sont considérables. Nombreux sont les algériens professeurs d’université , cadres d’entreprises ou simplement professionnels dans tel ou tel domaine ou investisseurs, qui contribueraient au redressement et au développement de l’Algérie.

Nous avons des exemples de pays qui ont redressé leur économie et qui assuré leur développement grâce à l’apport de leurs filles et de leur fils à l’étranger. Je citerais notamment l’Irlande et l’Italie .

Mais cela nécessite une véritable politique envers notre communauté et une vision à moyen et long terme ainsi qu’une stratégie à un double niveau :

1- un niveau relevant uniquement des autorités algériennes :

  1. par le redéploiement et s’il faut l’installation des services consulaires et autres, en fonction de l’implantation réelle de notre communauté sur les territoires des pays d’accueil.

  1. par un cadre organisationnel et l’attribution des moyens nécessaires. Des assises de la communauté associant l’ensemble des acteurs de notre communauté et un conseil de la communauté peuvent constituer des vecteurs directeurs de cette organisation.
  2. Mais la condition de réussite de la mise en place d’une organisation et de structures

    réside dans la volonté de l’Etat Algérien d’avoir une vraie politique et une stratégie envers cette communauté.

  3. Par la mise en place d ‘une maison de l’Algérie dans chaque circonscription disposant d’un Consulat Général, dans un premier temps.
  4. Cette organisation et ces structures permettront de tisser un véritable réseau , regroupant les potentialités et assurant une plus grande solidarité, cette valeur fondamentale qui constitue le ciment entre les algériens et qui leur assure une meilleure cohésion .

  5. par la mise en place d’instruments pratiques et législatifs qui permettent une plus grande contribution de notre communauté au développement économique et scientifique de notre pays. Je citerais par exemple :

2- un niveau relevant des relations entre l’Algérie et les pays d’accueil

L’esprit qui doit guider ces conventions est justement celui qui permet de garantir la dignité et de protéger les droits de nos concitoyens.

J’espère que le voyage en France de Mr YOUSFI et de Mr ZIARI permettront de mettre de solides fondations pour une meilleure et plus efficace prise en charge de nos concitoyens.

 

 

B- Autres secteurs

Sur les autres secteurs évoqués dans ce projet , je me permettrais quelques réflexions rapides sur l’économie et le social , la jeunesse, l’éducation et l’Etat de droit .

  1. Au niveau économique et social

La gestion de la rente pétrolière et l’absence de vision de développement économique, hors hydrocarbures, depuis longtemps ont mené l’Algérie à ne plus être maîtresse de son destin. L’ouverture vers l’économie de marché est certes dictée par une réalité économique mondiale mais s’est faite et se fait sous des contraintes draconiennes des instances financières internationales. L’Algérie étant asphyxiée financièrement , toute initiative reste tributaire des créanciers de l’Algérie .

La nouveauté dans ce projet réside dans le douloureux aveu de cette asphyxie par ce gouvernement qui pour la première fois ose parler de l’effacement de la dette ( s’agit –il encore que l’Algérie y soit éligible ).

Nous sommes loin des discours de fierté où le rééchelonnement était perçu comme une atteinte à la souveraineté de l’Etat.

Deux constats s’imposent  et doivent être avoués au peuple :

  1. Les conséquences de cette asphyxie seront désastreux pour le pouvoir d’achat des algériennes et des algériens qui ne finit pas sa chute vertigineuse.
  2. "  La seule espérance est que l’austérité revendiquée en tant que stratégie ( ?)ne soit pas répercutée uniquement sur les catégories sociales les plus démunies comme cela a toujours été le cas ".

    Le projet présage d’un avenir sombre. Un retour sur des acquis fondamentaux est même annoncé avec le désengagement de l’Etat de sa mission d’éducation et de protection sociale en privatisant notamment les systèmes d’assurances.

  3. En attendant une bouffée d’oxygène au bon gré des créanciers de l’Algérie, le gouvernement ne doit pas tergiverser sur les autres politiques à même de permettre au peuple de " survivre  " notamment :

- regagner la confiance des opérateurs économiques algériens et étrangers

** éradiquer les fléaux de corruption

** pour mettre fin à la fuite des capitaux

** un contrôle plus efficace de la fiscalité

  1. Jeunesse

Je parle particulièrement de cette frange de la population car :

  1. Elle représente 75% de la population
  2. Elle est la plus touchée par la crise qui sévit dans notre pays depuis longtemps
  3. Elle constitue l’avenir.

Le programme du gouvernement est loin d’être ambitieux dans ses propositions pour répondre au drame que vit la jeunesse, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce qui se dégage du projet est la reprise de quelques mesures non significatives à court terme pour "  caser " quelques jeunes dans des emplois précaires.

La jeunesse algérienne nécessite une politique et vision à long terme. Le jeune algérien est dans la rue faute de structures qui peuvent l’accueillir. Il y a lieu aujourd’hui d’investir dans la formation du jeune , pour son émancipation et son ouverture sur le monde.

Le système éducatif doit être totalement réformé dans l’esprit de restituer à la jeunesse son rôle dynamique dans la société. La formation professionnelle et la formation continue doivent être encouragées. Des structures liées à la jeunesse (scolaires , sportives et culturelles ) doivent être réalisées en urgence. Le mouvement associatif extra partisan, doit être dynamisé et encouragé.

En ce qui concerne l’emploi , le jeune n’a pas besoin d’un filet social ou d’une allocation de chômage mais d’un véritable emploi qui le revalorisera en tant que citoyen. Des priorités doivent être accordées aux jeunes dans le secteur public et des mesures fiscales doivent être mises en place pour inciter les entreprises privées à recruter des jeunes.

La révision du régime de retraite est indispensable pour libérer des emplois.

Aujourd’hui dans notre pays où 70% de cette jeunesse est au chômage, certaines entreprises continuent de recruter sous des formes de contrats divers , des personnes déjà en retraite. C’est inacceptable.

  1. Education et culture
  2. Le gouvernement a commencé son projet de programme par énumérer des vulnérabilités et contraintes. J’ai notamment relevé "  la régression de l’esprit civique lequel est intimement lié à la citoyenneté, a pour conséquence des comportements anarchiques dans la société  ".

    Cette question de civisme et de citoyenneté repose avec acuité la question de la mission de l’école et du projet de société que l’on veut pour cette Algérie.

    L’école doit avoir une mission citoyenne, former le citoyen qui gérera le pays demain, un citoyen responsable, ouvert sur la modernité et les valeurs universelles, un citoyen correctement armé, fier , conscient de lui même et conscient aussi qu’il est responsable de son pays.

    Cela exige évidemment l’extirpation de l’école et de la formation du jeune , toute forme d’endoctrinement.

    Tous les gouvernements précédents nous ont évoqué la réforme profonde de l’école . Qu’en est-il aujourd’hui ? Le constat est toujours amer. L’on se gargarise de séminaires et de réunions mais, profondément l’école est dans le chaos à tous les niveaux -

    Mais cela ne peut pas être autrement dans la mesure où l’on a pas tranché sur la véritable mission de l’école qui est indissociable de la définition du type de projet de société.

    Monsieur Le Ministre de l’Education Nationale :

    L’esprit qui doit guider toute réforme de l’éducation nationale est celui de la modernité et de l’universalisme, de la performance et de l’efficacité.

    On ne peut pas par exemple continuer à gérer les rythmes scolaires en fonction des fêtes . Est-il concevable qu’un trimestre de l’année puisse durer 4 mois ( de la fin Août à fin décembre 1999). Le premier décembre , les enseignants ne connaissaient pas encore la date des vacances.

    Si l’on veut une école performante pouvant relever le défi du troisième millénaire , extirpons de notre action, l’aléatoire , les considérations superflues et laissons nous guider par l’universalisme.

  3. Etat de droit et démocratie

Je finirais par ce volet extrêmement important qui concerne les droits des citoyens.

1- L’Etat a pour responsabilité de prendre en charge tous ses enfants. La justice doit également être intransigeante contre ceux qui ont choisi d’être hors la loi.

La concorde civile a permis de mettre en place un arsenal pour les personnes dites " égarées " mais Monsieur le Président, n’est-il pas pour le moins surprenant que le projet du gouvernement n’évoque même pas les familles victimes du terrorisme ?

Ce sont tout de même ces familles qui ont payé le lourd tribut et il est de la responsabilité de l’Etat de protéger ces familles et de leur assurer leur pleins droits.

  1. Le dernier point de mon intervention est une inquiétude, une grande inquiétude quant à la place de la femme dans notre société. Le projet du gouvernement se caractérise par un langage démagogique à ce sujet .

La reconnaissance de l’importance du rôle de la femme dans la société d’une part et l’occultation de l’injustice qui frappe la femme algérienne depuis 1994 qu’est le Code de la famille.

Pire encore, le gouvernement laisse apparaître à travers son texte, une forme d’égalité des droits dans tous les domaines entre les hommes et les femmes et finalement laisse planer une question que je me permets de poser ouvertement "  Que veut de plus la femme algérienne ? "

Monsieur Le Président,

Je peux vous énumérer le nombre de contradictions qui existent entre le Code de la famille et la Constitution, le Code de la famille et les lois du travail ,le Code de la famille et le code civil etc ……

Le code de la famille institue la suprématie de l’homme et réduit la femme à une sous-citoyenne mineure à vie. Son abrogation est une exigence de la modernité et de la démocratie.

Ne pas reconnaître que le Code de la famille est la pire des injustices et des humiliations que subissent les femmes algériennes qui de tout temps ont partagé courageusement le combat et les épreuves millénaires du pays , ne peut être interprété que comme une forme de sacrifice de ces femmes aux islamo-conservateurs.

La femme est devenue un enjeu politique et un vecteur directeur d’un projet de société. L’absence de femmes dans le gouvernement est révélateur de l’orientation que l’on veut donner à ce projet, une orientation islamo-conservatrice cautionnée par les soit disant défenseurs des droits des femmes.

Personne, en Algérie et dans le monde ne peut concevoir que sur 52% de la population, il n’y ait pas de femmes capables d’assumer efficacement et consciencieusement une charge ministérielle.

Je vous remercie.